HOMMAGE À GUY DEMOLIN
Je n’avais pas vingt ans quand le jeune et brillant ingénieur a débarqué à Malaucène-sur-Groseau. Le souvenir le plus fort consiste en ces soirées du samedi après le ciné (nous ne sortions pas en boîte, à l’époque !) où il nous accueillait aux Platrières. Là, en notre compagnie, il triait scrupuleusement les insectes pris dans les pièges lumineux disséminés dans l’environnement du bâtiment. Il dissertait à n’en plus finir sur la vie de ces braves bêtes et nous l’écoutions, époustouflés de tant de savoir et de tant de passion.
Un peu plus tard, parce que j’étais pion et sensé poursuivre des études, il me contait les siennes. La hiérarchie de l’INRA lui avait fait comprendre qu’un diplôme d’ingénieur n’était pas suffisant pour asseoir sa présence dans le monde de la recherche scientifique. Aussi allait-il régulièrement en Fac et était-il très fier de constater et de m’informer que certains de ses profs citaient déjà dans leurs cours des pans entiers de ses rapports sur la vie des insectes.
L’affirmation d’un chercheur
Très vite, il devient un spécialiste de la chenille processionnaire, qui le conduira dans le monde entier…. Jusque même à risquer sa vie. Car la vie de chercheur a ses dangers. Je crois que c’est en Pologne que, suite à un choc à la tête, il dut subir une opération assez délicate à cause d’une infection. Ce sera, hélas, la seule anecdote sur la carrière internationale de notre chercheur car je n’en connais pas d’autres. Mais sachez que cette carrière mérite à elle seule un long développement. La légende Demolin commençait ainsi à s’affirmer.
Elle devint encore plus prégnante, lorsque certains soirs d’été dans la cour de l’actuel Oustalet, il nous projeta des films scientifiques qu’il avait produits ou co-produits. Je me souviens d’un traitant des guêpes et d’un autre du circaète Jean-le-Blanc dont un couple nichait au-dessus du Groseau. Que sont devenus « nos » circaètes...?
Vint le moment où, l’attrait du Ventoux aidant, il devint responsable d’un échelon local de l’Inra implanté à Malaucène. Cet échelon accueillait chercheurs et étudiants et les accompagnait dans leurs recherches. Je ne sais plus quand il a disparu mais peut-être n’a-t-il pas résisté au départ à la retraite de Guy…
La Réserve de Biosphère
Ce foisonnement de chercheurs autour du Ventoux va mettre en valeur l’idée de création d’une Réserve de Biosphère du Ventoux. Comment cette idée a-t-elle cheminé pour être ensuite reprise par Jean Garcin, président du Conseil Général de l’époque. On ne sait pas trop et puis, les idées, sont faites pour cheminer le plus loin possible. On ne sait pas trop, mais il semble bien qu’un autre Malaucénien, Jean Chaisse, alors directeur du Syndicat mixte d’aménagement et d’équipement du Mont Ventoux, y ait été pour quelque chose. C’est en effet lui qui organisa à Savoillans, du 8 au 11 octobre 1986, un colloque intitulé Voyage autour du Ventoux. La crème des chercheurs était là pour parler des richesses de notre tas de cailloux préféré et Guy intervint très naturellement sur la chenille processionnaire.
Pour faire court, nous ne devons pas quitter ce paragraphe sans citer la véritable encyclopédie multimédia que Guy a créée dans son ordinateur. Il fut longtemps question de la publier en DVD mais rien n’est venu et nous souhaiterions que cet immense travail ne soit pas perdu.
Le citoyen qui cultive sa différence
Guy avait un caractère bien trempé et était un citoyen engagé. Dans le village, certains le voyaient un peu comme un professeur Tournesol surdoué perdu dans ses recherches, d’autres voyaient en lui un futur gestionnaire de la mairie et du canton, d’autres enfin trouvaient tout ceci gênant et lui faisaient une réputation d’empêcheur de tourner en rond… qu’il méritait bien car il la cultivait très fort.
Dès les années 1960, il nous parlait des célèbres gaullistes de gauche de l’époque (René Capitant et Louis Vallon, par exemple) et je crois qu’il aimait sincèrement cet engagement et ce d’autant plus qu’il lui permettait de cultiver sa différence. On le vit ainsi de tous les combats aux cantonales ou aux municipales. À un moment, à tort ou à raison, il sentit qu’il gênait et il m’expliqua qu’on lui avait proposé un poste alléchant de Directeur de recherches dans le Grand ouest. Évidemment il refusa.
Empêcheur de tourner en rond ou pas, Guy avait une vie publique dense. Très intégré dans la communauté villageoise, il fut un temps président de la société de boules et ses débats dans les bars étaient célèbres et difficiles pour ses co-débatteurs : quand il avait la parole, il ne la lâchait pas ! Paradoxalement, ça le rendait sympathique aux yeux de la population qui fréquentait la place publique car chacun savait qu’il n’y avait aucune méchanceté dans ses paroles. C’était tout simplement des témoignages, des harangues quelquefois, de quelqu’un qui, en citoyen, osait affirmer clairement sa pensée. Et, passée la phase d’agacement, la sympathie revenait et nous avions bien raison de la lui donner.
Voilà, ceci n’est qu’un raccourci très personnel – pas forcément objectif, donc – de la vie de cet homme et, quelles que soient nos éventuelles oppositions philosophico-politiques, je serais très malheureux si la communauté venturoise le laissait partir sans parler de son œuvre qui a été considérable.