La Libération de Malaucène (3)

Avec Michel et Éliane Tromel, nous allons continuer notre voyage dans les années 1944-45.

Marcel, le père de Michel, tient un commerce de ferblantier dans la Grand’Rue. Il a d’abord été apprenti

là, chez le patron de l’époque qui a fait faillite et il a racheté la petite entreprise. Elle est située à une centaine de mètres au-dessus de la boulangerie de Lucien Beynet et de son père. Elle est alors encore au cœur de l’activité villageoise (voir le tome II de Malaucène village du Ventoux, sous titré Les mémoires de l’horloge).

C’est là que les Malaucéniennes et Malaucéniens se croisent, se parlent, racontent leurs petits bonheurs

et leurs grands malheurs. Et Michel qui avait 10 ans à l’époque, se souvient assez bien.

Quelquefois avec le sourire, parfois avec plus de distance et d’autre fois, enfin, avec émotion ou avec les sourcils en point d’interrogation quand il dit ne pas toujours comprendre le monde qui l’entourait.


Nous allons donc dans un premier temps continuer sur la lancée de Lucien Beynet, sur les activités des jeunes, puis nous glisserons tout doucement vers des sujets plus graves, ceux qui font froncer les sourcils de Michel et pincer les lèvres d’Éliane qui essaie de se taire pour ne pas livrer son jugement sur les faits que nous abordons. Mais elle n’en pense pas moins...

Jacques Galas

30 août 2014



Un peu plus de détails

Dans la Grand'Rue, toujours, un fils de ferblantier...

SOUVENIRS
DE LA LIBÉRATION DE MALAUCÈNE III
Apparente insouciance des jeunes mais peur permanente de tous

Les jeunes du village se partageaient alors en trois bandes : celle des Aires (La Lauze), celle du Calvaire et celle de Crémessières.
Cette distinction durera longtemps, au moins jusqu’à la fin des années cinquante.

Du haut du Calvaire, on voit très loin...
Le Calvaire, c’était notre poste d’observation. Le jour du capitaine Jallier on a vu l’avion tomber. Il a piqué du nez et c’est probablement la queue qui a coupé la tête au capitaine, pas
l’hélice. Nous sommes allés jusque là-bas et nous avons vu l’avion brûler. L’un des fils Testard qui était à la ferme de la Madelène et dont les parents étaient Résistants était déjà là. Eux, contrairement à Rémy, étaient donc allés jusqu’au lieu du drame.
Quand Rémy parle du mitraillage du Pont Rouge par un avion, ça me rappelle que ce jour-là René Ta Van Thinh nous a sauvé la vie. Nous étions quelques-uns à cheminer vers un jardin que nous avions à la Combe où nous cultivions des pommes de terre et des lisettes (des betteraves fourragères) pour nourrir le cochon
que nous élevions de moitié avec Jean Canestrari.
Il fallait se débrouiller pour manger..
Signalons au passage qu’en ces périodes de restrictions, la plupart des familles élevaient leur cochon. Lucien nous a dit en avoir un à la boulangerie et il a rajouté que les instits organisaient pour les élèves la visite d’une ferme qui
en élevait une bonne dizaine. On devait mettre ça sur le compte des travaux pratiques. C’est grâce à ce cochon que j’ai appris le rôle du chef de district : il était contrôleur du ravitaillement.
Et Michel de rajouter que si vous vous faisiez attraper à passer de la viande en douce, vous étiez verbalisés sévèrement, comme furent verbalisés Lucien et un ami qui avaient voulu améliorer leur ordinaire en chassant au poste dans l’enclos de Jean Brémond : ils avaient été dénoncés.
Bon, revenons au mitraillage : un avion a pris en enfilade l’allée des Platanes depuis le haut et a mitraillé la route tout le
long jusqu’au Pont-Rouge. Nous étions là et René Ta Van Thinh a eu le réflexe de nous jeter dans le fossé pour éviter de ramasser une balle perdue. On a eu de la chance, on s’en est bien tirés...

Izon-la-Bruisse
Nous en venons à parler du drame d’Izon-la-Bruisse parce que Michel se souvient que l’un des rescapés, Jean-Paul Maugard était passé par Malaucène quelques jours plus tard. Il venait probablement chez Meffre le garagiste qui avait alors son atelier entre le rue Chaberlin et les Remparts. Et quelques Malaucéniens (Abel Liotard, Paul Vendran, Marcel Tromel...) étaient allés à Izon avec un camion de Courias, l’expéditeur de Caromb, pour tenter de récupérer tout ce qui pouvait encore servir au Maquis.
Et puis, lors d’une rencontre avec Max Fisher (l’un des deux chefs du Maquis Ventoux), celui-ci m’a expliqué que mon père l’avait bien dépanné. À la suite de la loi sur le Service du Travail Obligatoire (STO) les réfractaires étaient de plus en plus
nombreux et il fallait les faire manger. Dans quoi ? Max a fourni le fer blanc et mon père a fabriqué 300 assiettes. J’aurai bien aimé en avoir une en souvenir...
Sur Izon, il faut absolument acheter le très beau et très
documenté ouvrage publié récemment (voir photo).

Vivre avec la peur
Nos parents se méfiaient de tout et ils avaient raison. Le jour de la rafle des Résistants, ma mère me dit « S’ils viennent tu dis rien. Et, toi, mamé, je leur dirai que tu n’as plus ta tête.» Ça n’a pas plu à la mamé ! Ce jour-là, mon père s’est enfui de
l’Hôpital où il veillait le capitaine Jallier en passant par les toits. Il ne devait pas en mener large !
Certains ne couchaient plus chez eux. Germain Meffre et mon père dormaient au grangeon d’Arnavon (sous Brassetieu), Georges Augier dans le parc de Béranger. Le jour de la bagarre au tunnel du Barroux où tu as déjà signalé que Malaucène s’était vidée, on s’est retrouvé 35 chez Marcellin au Rieufroid, dans la paille, sous le hangar. Même ma grand mère est venue là-bas à pieds. Il faudra inviter un sociologue à faire une
thèse sur ce déplacement de population : pourquoi
telle famille ici, et telles autres là etc...

Et il y a ce jour où une escouade de la Milice a
installé un cordon de protection le long du Cours
et dans la rue de l’Abattoir pour exfiltrer sans risque le chef de la Milice locale. J’allais à l’école et je m’en souviens comme si j’y étais. Le spectacle n’avait rien de rassurant.

La honte
Le ton de Michel change. Il veut me dire son regret et sa
honte d’avoir entendu des gens apparemment censés, qu’il estimait même, exprimer publiquement dans la rue leur mépris et leur haine pour les « li Jusiéu », les Juifs. Une véritable infamie. Michel souligne que, heureusement,
parallèlement et dans le plus grand secret, quelques Malaucéniens ont caché des familles juives ou des orphelins dont les parents étaient hélas partis vers les crématoires. Il y eut en la matière la masse des indifférents ou de ceux qui s’en lavaient les mains (pas innocents pour autant !), les complices et ceux dont les mains ont baigné dans le sang des peuples sacrifiés à la barbarie.

Aujourd’hui, il n’y a plus grand monde pour se souvenir des Malaucéniens qui ont aidé les Juifs, mais qui s’en souviendra demain ? Faut-il continuer à cacher cela à nos petits-enfants ?


LE DIAPORAMA


Michel Tromel (fin août 2014)